POINT DE DÉPART

L’idée est d’abord venue du coproducteur du film, Richard Elson, avec qui, en début de carrière, Garry Beitel avait travaillé sur plusieurs films dont le célèbre « Bonjour ! Shalom ! ». « Lorsque Richard m’a proposé l’idée d’un documentaire sur Schwartz, dans mon esprit, c’était loin d’être évident de tourner dans un endroit si petit et si bruyant. Mais Schwartz représentait pour moi un repère historique avec lequel j’avais grandi et ce qui me surprenait, c’était de constater qu’à ce jour, aucun film sur ce lieu n’avait été tourné. Le défi de pénétrer au cœur de la légende de Schwartz nous a séduits, moi et mon associé Barry Lazar, qui est lui aussi coproducteur de ce film. Mais pour moi, il était primordial de trouver une approche originale qui écarte d’emblée toute idée de film publicitaire. »

Pendant les quelques mois précédant le début du tournage, Garry s’est régulièrement rendu chez Schwartz en tant que simple observateur. « J’ai tôt fait de réaliser que ce qui m’attirait, c’était les histoires vécues par le personnel de cet établissement – les découpeurs de viande, les serveurs, les débarrasseurs de tables – dont plusieurs ont 20 ans et même, dans certains cas, 40 ans d’ancienneté. En conversant avec eux, je me suis aperçu qu’ils ne perçoivent pas leur travail comme un simple gagne-pain. Ils sentent qu’ils font partie d’une communauté spéciale, et le fait de travailler chez Schwartz les remplit de fierté et leur donne un sens de l’accomplissement que l’on retrouve rarement chez les employés d’autres restaurants. Et ce sentiment d’appartenance s’étend même aux mendiants qui, depuis des années, parviennent à gagner de quoi vivre en se postant près de l’entrée de Schwartz. Rapidement, il m’est apparu que Schwartz pourrait sans aucun doute devenir la toile de fond pour une série d’histoires entremêlées les unes aux autres et dont je pourrais suivre le déroulement pendant un an de tournage. »

À LA RECHERCHE DE L’HISTOIRE

Des jours durant, Garry s’incrustait littéralement dans le comptoir, écoutant et épiant tout ce qui se passait – de jour et même de nuit. Schwartz compte près de 40 employés – tous des hommes à l’exception de quelques femmes caissières. En début de recherche, Garry s’est concentré sur l’identification des personnages et des histoires qui pourraient le mieux faire ressortir la dynamique de l’endroit. Comment les gens parvenaient-ils à s’élever dans la hiérarchie, de la cuisine au travail de débarrasseur de tables en passant par le service au comptoir pour ensuite tenter leur chance de décrocher les postes convoités de serveur, découpeur de viande ou grillardin ? Et quels étaient les personnages les plus intéressants ? Lesquels parmi eux pourraient se sentir à l’aise devant une caméra et lesquels se sentiraient intimidés ? Petit à petit, il est parvenu à se faufiler dans l’univers du personnel qui travaille dans la charcuterie et dans celui, parallèle, des mendiants qui forment eux aussi une partie intégrante de la hiérarchie de Schwartz.
Dans un premier temps, il semblait important de situer le restaurant, une institution de 78 ans, dans son contexte historique. Mais à notre grand étonnement, après une recherche exhaustive dans les différentes sources d’archives, il s’avéra exister bien peu de photographies utilisables ou d’images possédant assez de puissance émotive. « C’est à ce moment que nous avons pris la décision que l’histoire allait se dérouler dans le présent. Ce serait un film sur Schwartz, tel qu’il est devenu aujourd’hui, et la trame dramatique se développerait au fur et à mesure du tournage. »

CRÉATION DE L’HISTOIRE

« Nous étions une petite équipe : Marc Gadoury à la caméra, André Boisvert à la prise de son, moi à la direction et, à tour de rôle, Barry et Richard à la coordination de la logistique. Nous avons identifié cinq ou six endroits stratégiques dans le restaurant, là où nous serions le moins susceptibles de gêner les activités. Grâce au temps que j’avais pu consacrer à faire la connaissance des employés, ces derniers se sont rapidement habitués à fonctionner normalement malgré notre présence. Notre approche consistait à adopter le point de vue de l’observateur, dans le style cinéma vérité, et d’attendre que les événements se produisent d’eux-mêmes, que l’histoire se développe naturellement. Parfois, nous attendions pendant des heures sans que rien d’intéressant ne se produise. Nous nous déplacions d’un endroit à l’autre, essayant de trouver le meilleur angle possible, captant à l’infini des scènes, souvent répétitives, de préparation et de dégustation de sandwichs, de tables servies et desservies. Puis soudainement, quelqu’un entrait, s’assoyait en face de la caméra et nous assistions alors à un moment incroyablement savoureux. Par après, nous avions peine à croire à quel point nous avions été chanceux d’avoir été à la bonne place au bon moment. »
« Aussi intéressants que ces moments de vérité puissent être, je sentais cependant qu’il fallait pousser la démarche un peu plus loin. J’ai alors décidé de mener des entrevues approfondies avec ceux qui ressortaient comme les personnages principaux. Je voulais sonder plus profondément leur vécu, leur attachement pour Schwartz. Le seul moment où cela était possible, c’était très tôt le matin, avant l’arrivée des premiers clients. J’ai aussi décidé d’enregistrer des entrevues plus spontanées, de façon informelle et dans le feu de l’action. Le fait de combiner entrevues et moments de vérité a permis aux personnages et à leurs histoires de se développer dans une plus grande intimité. »

L’IMPORTANCE DE LA PRISE DE SON

L’enregistrement sonore a joué un rôle exceptionnellement déterminant pendant le tournage car souvent, c’est ce qui permettait de décider qui ou quoi allait être filmé au cours de la journée. « Pendant une journée typique de tournage, nous installions la caméra et surveillions ce qui se passait. En même temps, nous nous efforcions de créer des liens avec le personnel. Tous ne se sentaient pas également à l’aise devant la caméra, mais cela pouvait changer de jour en jour. Alors, chaque fois que nous étions sur place, je choisissais lesquels des personnages nous allions suivre. André, notre preneur de son, fixait un micro sans fil sur les employés sélectionnés. C’était fascinant de voir à quel point les gens modifiaient leur attitude lorsqu’ils réalisaient que nous pouvions entendre ce qu’ils disaient, même lorsque nous devions zoomer sur la scène de leurs échanges. C’est un curieux phénomène qui se produit dans le cinéma vérité : les gens vaquent normalement à leurs occupations tout en adaptant subtilement leurs comportements pour le bénéfice de la caméra. »

UNE ANNÉE DE TOURNAGE

Le fait de tourner pendant toute une année nous a permis d’approfondir nos relations et de voir les différentes intrigues se développer en temps réel. Plusieurs personnages clés sont ainsi ressortis. Nous avons découvert avec quel dévouement le directeur général Frank Silva se consacrait à la charcuterie et à son personnel ; nous avons aussi découvert que ce dévouement avait un prix : une douleur chronique à l’épaule qui va en s’aggravant. Nous avons pu observer Alex Lebel, débarrasseur de tables, qui trouve le temps de composer des poésies de son cru entre deux opérations de débarrassage et, par la suite, nous l’avons vu déployer tous les efforts possibles pour prouver qu’il pouvait fort bien s’acquitter du service au comptoir. Nous avons recueilli les propos de Mike Nelli, qui parlait de sa réticence à travailler dans cette charcuterie en délire, pour ensuite nous avouer son plaisir évident de participer à l’atmosphère magique de cet endroit et conclure par des réflexions philosophiques à l’effet qu’il allait probablement vieillir chez Schwartz. Et enfin, il y a Ryan Larkin, célèbre sujet du film d’animation Ryan, qui a été récompensé par un Oscar, qui continue à mendier à la sortie de Schwartz malgré le fait que sa santé se soit détériorée de façon inattendue.

Le réalisateur Garry Beitel (au centre) s’est llittéralement incrusté dans le comptoir de Chez Schwartz durant son année et demie de recherche, de tournage et de montage.


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